Carême 2023 – Lundi de la 1re semaine de Carême – 27 février 2023

Réflexions quotidiennes du Carême 2023 :
Lundi de la 1re semaine de Carême (27 février 2023)
Il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. (Mt 25, 32)
Nous roulions dans les Rocheuses canadiennes lorsque cette image a surgi. J'avais plus envie de voir des grizzlis que des chèvres lorsque nous sommes tombés sur celle-ci, séparée de son troupeau, qui avait peut-être envie de mourir, en train de brouter sur le béton.
Il existe différentes sortes de déserts : des dunes de sable, de l'eau qui s'étend partout, une forêt dense qui trouble votre sens de l'orientation, des catalogues infinis de mots et des métros bondés de gens qui regardent leur téléphone portable, des esprits distraits et des routes vides traversant des chaînes de montagnes. Des éléments communs à une expérience de désert se retrouvent dans toutes ces formes - et bien sûr dans la méditation. Ils comportent un sentiment initial d'éloignement et de séparation auquel vous devez consentir pour qu'il devienne une véritable solitude. Il n'y a pas de solitude qui ne commence par un certain degré d’isolement, mais la solitude est le remède à l’isolement. Celui-ci est le symptôme d’une séparation, quand la solitude est la restauration de l’amitié.
La chèvre essayant de brouter le béton ou, plus probablement, quelque chose de comestible qu'un conducteur inattentif aurait jeté par la fenêtre, ne donnait pas l’impression d’être seule. Sans se rendre compte que nous la regardions et que nous la prenions en photo, elle semblait se satisfaire de sa solitude, ce qui signifie (si cela s'applique aux chèvres comme à nous) qu'elle avait trouvé l'Ami en elle. Elle n'a pas relevé les yeux pour se demander si nous étions ce qu'elle cherchait, car elle ne cherchait rien. Elle ne se souciait même pas d’un camion qui aurait pu sortir du virage à tout moment. Les chèvres sont plus indépendantes que les moutons et sont donc souvent considérées comme plus égocentriques, ce qui peut conduire à expliquer pourquoi elles sont devenues des symboles du mal. Le diable est souvent représenté par un bouc à l'air méchant.
De toute façon, ce n'est qu'une parabole et Jésus n'avait personnellement probablement pas grand-chose contre les boucs. Cependant, les chèvres semblent plus intelligentes que les moutons, surtout aux yeux de ceux qui les aiment, même si la vue de celle-ci, broutant le béton dans un virage dangereux, me laissait penser le contraire. Le désert, même celui d'une route de montagne vide, accueille tout le monde. C'est pourquoi la méditation, en nous conduisant au désert du cœur, crée la communauté, la restaure et confère la conscience bénie de l'égalité.
Au début, l'explorateur du désert ne remarque pas qu'il y a d'autres personnes autour de lui, un peu seules comme lui, essayant d'accepter la solitude. Même là, il peut encore les juger selon l’apparence, comme nous le faisons tous. Il peut commencer à mettre les moutons à sa droite et les boucs à sa gauche. Il peut même penser qu'il est juste de séparer et de juger les autres parce qu'il imite Jésus.
La transformation vient lorsque nous comprenons pleinement que nous sommes dans le désert, que nous l'acceptons humblement et que nous nous autorisons à nous y sentir chez nous. Nous cessons alors de chercher ce qui n'est pas là. La vie devient plus simple et plus vivable à mesure que nous ne regardons que ce qui est là.
La séparation des moutons et des boucs est finie. Ils se regardent mutuellement dans les yeux et s'y voient reflétés : les bons, les méchants et les laids, les riches et les pauvres, les bien-portants et les malades, les prisonniers et ceux qui sont libres, ceux qui ont une vie dorée et de la belle vaisselle et ceux qui n'ont jamais mangé qu’avec du plastique, quand toutefois ils ont eu à manger.
Laurence Freeman, OSB