Carême 2023 – Jeudi de la 4e semaine de Carême – 23 mars 2023
Réflexions quotidiennes du Carême 2023 :
Jeudi de la 4e semaine de Carême (23 mars 2023)
Dans de nombreuses histoires du zen et du désert chrétien, une avancée de la conscience peut se produire à la suite d’un incident insignifiant ou d’une simple remarque d'un maître sage. Ce sont des moments imprévisibles d'illumination qui semblent surgir de nulle part, mais qui ont été attendus au cours d'un long processus caché de préparation. Lorsque le bon moment arrive, il est irrépressible. En un instant se défont des années d’aveuglement ou une projection mortifère.
L’exemple suivant est tiré de l'ouvrage apocryphe des Actes de Jean, datant du début du IIe siècle. Un jour, saint Jean était assis dehors lorsqu'une perdrix vint se poser près de lui et commença à jouer dans le sable (vous pouvez aller voir des perdrix de sable sur YouTube. Ce que Jean observait était probablement un bain de sable). Jean était absorbé et amusé par le jeu de cette créature lorsqu'un vieux prêtre passa, vit notre grand homme perdre son temps à s'amuser des facéties d’une perdrix et en fut secrètement choqué. Comme dans beaucoup d'histoires de ce genre, y compris des scènes de Jésus dans les évangiles, Jean lut dans les pensées de cet homme (ou interpréta peut-être l'expression critique de son visage).
Il se tourna vers le prêtre et lui dit : "Mon fils, il vaudrait mieux que tu regardes une perdrix jouer dans le sable plutôt que de t'adonner aux choses honteuses que tu fais et avec lesquelles tu te contamines. C'est pourquoi Dieu, qui attend le repentir et la conversion de chacun, t'a conduit ici aujourd'hui. Je n'ai pas besoin d'une perdrix qui joue dans le sable. La perdrix, c'est ton âme". Le prêtre comprit immédiatement qu'il était reconnu et tomba à terre en demandant au disciple bien-aimé du Christ de prier pour lui. Jean le fit, lui donna un enseignement et des instructions et le renvoya chez lui.
"La perdrix est ton âme". L'intuition qui provoqua ce moment soudain de métanoïa n'était pas seulement la connaissance des pensées du prêtre et de sa vie secrète. Plus profondément, c'est la prise de conscience de ce que nous appellerions aujourd'hui une projection. Ce prêtre vivait avec une sorte de comportement honteux qui déshonorait sa vraie nature ; il projetait son moi coupable à la fois sur la perdrix innocente, qui ne faisait que ce qu'il était dans sa pure nature de faire, et sur Jean, qu'il condamnait d'apprécier ce spectacle.
Les étapes qui nous conduisent à juger et à condamner les autres peuvent être subtiles et complexes, renforcées par une forte et trompeuse autosatisfaction. Les arguments ou les explications rationnelles venant de l'extérieur ont rarement l'acuité nécessaire pour pénétrer dans ce bunker de béton qu'est la préservation de soi. Mais il y a un missile qui peut le faire. Il s'agit de l'intuition de la racine principale du problème, tiré avec une honnêteté et une précision cristallines. Il traverse le terrain vague qui entoure le bunker d'une manière affectueuse, destinée à libérer et non à détruire sa cible.
"Tu es la perdrix". Ce n’est peut-être pas une bête noble, mais elle est belle aux yeux de Dieu et aux yeux de ceux qui voient avec ces yeux : belle et digne de contemplation.
Sachez que vous êtes charmant et jouez avec cette innocence. Vous êtes fait pour cela.
Laurence Freeman, o.s.b.