Carême 2022 – Lundi de la 3e semaine de Carême – 21 mars 2022

Réflexions quotidiennes du Carême 2022:
Lundi de la 3e semaine de Carême (2022-03-21)
Des Ukrainiens russophones qui possèdent une liste de numéros de téléphone en Russie les appellent au hasard pour parler, avec celui qui répond, du cauchemar croissant qui fait partie de notre Carême cette année.
La plupart raccrochent dès qu'ils entendent un accent étranger. D'autres s'engagent prudemment avec ceux qui appellent et qui tentent encore plus prudemment d'entamer une conversation. Ils entendent souvent la ligne du parti avec laquelle le Kremlin a occupé les médias : ce sont les Ukrainiens qui ont commencé ; ils bombardent leurs propres villes ; le président Poutine nous protège ; la Russie n'utilise la force que de manière défensive ; nous soutenons l'opération.
Les Ukrainiens savent qu'il est inutile de dire au téléphone : « vous avez tort, on vous a lavé le cerveau ». Au lieu de cela, ils ont appris à écouter. Et à poser des questions. Dans la plupart des cas, la tentative de conversation ne dure pas longtemps. Aucune conversation ne peut avoir lieu si les deux parties ne prennent pas le risque d'écouter. Écouter signifie être prêt à voir le sujet du point de vue de l'autre. Faire cela est dangereux dans un État autoritaire qui punit la dissidence. Mais c'est aussi risquer sa propre conception de soi : renoncer à soi, à ce que l'on croit être. C’est le risque que prennent chaque jour les méditants.
Essayer de faire changer l'autre d'avis sans souffrir patiemment du rejet de votre offre d'écoute est une autre forme de lavage de cerveau. Les prisonniers de la dernière guerre froide ont souvent subi un lavage de cerveau idéologique avant leur libération. Ils devaient ensuite subir un contre lavage de cerveau. C'est comme une dangereuse opération du cerveau. Envahir et occuper l'esprit des autres, c'est comme envahir et coloniser violemment un État souverain. C’est ce que la Russie tente de faire en Ukraine et que la Chine a réussi à faire au Tibet.
L'occupation d'un territoire est indissociable de la tentative d'occuper son espace mental. Les deux profanent l'humain et attaquent la civilisation. Si l’on y parvient, c'est par un régime de peur. La résistance la plus puissante à l'occupation étrangère est de continuer à poser des questions. On ne peut pas changer le mental des gens. Mais on peut ouvrir leur cœur en leur ouvrant le nôtre : par des questions qui montrent une voie non violente vers la vérité.
Nous devons également nous poser des questions à nous-même. Ai-je été trompé ? Notre mode de vie dans le consumérisme occidental est fondé sur une forme de tromperie appelée publicité. Elle a occupé de nombreux domaines de la vie, particulièrement visible chez ces politiciens qui se commercialisent eux-mêmes et refusent effrontément d'écouter les questions qu'on leur pose. J'ai également rencontré de nombreux chrétiens de naissance qui ont besoin d'être déprogrammés de la force d’occupation des croyances de leur enfance : un Dieu qui punit, le rejet des autres croyances, la criminalisation de l'identité sexuelle ou la manipulation par la culpabilité. Ce n'est qu'après avoir été déconditionnés de tout cela qu'ils peuvent revisiter l'essence pure de ce qu'on leur a enseigné, pour décider par eux-mêmes.
De telles comparaisons exigent d’être mises en perspective avec du bon sens. Mais si nous ne nous posons pas de questions radicales sur notre propre liberté supposée, comment pouvons-nous aider les autres ? Le prisonnier devient le geôlier jusqu'à ce qu'il soit libre. Écouter les questions qui libèrent la pure vérité qui nous rend libres n'est pas seulement une question de conversation et d'échange d'idées. Cela se réalise aussi - et peut-être plus puissamment ainsi pour ceux qui s'y risquent - par l'habitude de plonger dans le silence intérieur.
À un autre niveau, renoncer à toutes les paroles et toutes les pensées lave bien mieux l'esprit.
Laurence Freeman OSB