Carême 2022 – Lundi de la 1re semaine de Carême – 7 mars 2022

Réflexions quotidiennes du Carême 2022:
Lundi de la 1re semaine de Carême (2022-03-07)
La peur. Et comment ne pas en avoir peur.
La peur est une réaction naturelle et utile face à tout ce qui menace notre survie, notre bien-être ou les personnes qui nous sont chères. Nous nous nous soucions de tout le monde, espérons-le, même si c'est à des degrés divers et de différentes manières, et nous voudrions qu’il n’arrive de mal à personne. Mais la peur peut nous pourrir la vie plus efficacement que le danger.
Il y a quelques années, je suis allé en Inde avec un groupe de jeunes adultes américains. Je crois qu'ils avaient peur de partir seuls. Ils avaient grandi après le 11 septembre dans une culture de plus en plus manipulée par un cocktail de peur politique et de souci excessif de sécurité (= dans le contrôle de l'imprévisible) dans tous les domaines de leur vie. En voyant leur réaction nerveuse face aux différentes normes de santé et de sécurité et aux coutumes de toucher, je me suis souvenu de mes premiers voyages, encore plus jeune qu'eux. Je me suis demandé pourquoi j'avais été capable de me jeter dans des situations nouvelles et étranges avec autant d'insouciance. Leur inquiétude a atteint son paroxysme lorsque nous avons séjourné dans un ashram. Des villageois de leur âge, manifestement attirés par ces Américains brillants et séduisants, les ont invités chez eux. Ils vinrent me demander ce que j’en pensais. J'ai dit que c'était une belle opportunité à ne pas manquer. Quelle était leur inquiétude ? Ils avaient peur qu'on leur propose de la nourriture ou des boissons peu hygiéniques ou de se trouver dans une maison pleine de germes. J'ai dit que je pensais que c'était le discours de leurs grands-parents quand ils étaient très jeunes, mais qu’en pensaient-ils maintenant, à leur âge ? La plupart d'entre eux n'y sont pas allés.
Un homme âgé, confronté à une transition dans sa vie, dut prendre une décision sérieuse concernant son avenir. Il avait fait des recherches et pris des conseils avisés, mais il était paralysé par l'indécision, de peur de commettre une erreur irréparable. J'ai dit que je comprenais bien cet état d'esprit qui m'avait souvent poussé à retarder et à remettre à plus tard des décisions importantes. J'ai découvert que plus je retardais, plus la peur s'aggravait et plus l'anxiété augmentait. Mais lorsque je suis arrivé à un stade de ma vie où l'on attendait de moi que je prenne des décisions dans de nombreuses situations et où il m'incombait de le faire, quelque chose a changé en moi. Je ressentais toujours une certaine peur de prendre des décisions, mais j'avais moins peur des erreurs. J'en avais fait beaucoup et j'avais ressenti la honte et le regret qu'elles peuvent provoquer. Mais aucune erreur ni échec n'est définitif car le soleil se lève à nouveau le lendemain et on peut confesser son erreur et se réorienter. Il me regarda et dit : "Ah oui, mais tu es un moine. Pour moi c'est différent. C’est vraiment une décision importante."
L'Ukraine donne aujourd'hui au monde de nombreuses leçons sur la peur. Ne pas céder aux tyrans. Ne pas devenir trop dépendant d'eux pour son approvisionnement en énergie. Rester uni sur des principes moraux fondamentaux, même si cela vous fait perdre des voix ou nuit à votre économie. En écoutant en direct, depuis des villes dévastées, les rapports de femmes, d’enfants et de personnes âgées en fuite et ceux de personnes valides qui se battent pour leur liberté, nous voyons différentes façons d'écouter et de contrôler ses peurs. Si l’on a peur pour la vie de ses enfants ou de ses grands-parents, il faut écouter sa peur et courir se mettre en sécurité. Et si l’on est capable, tout en étant effrayé, de rester défendre sa maison contre les envahisseurs ? La décision est différente pour une personne engagée dans la non-violence et pour une personne dont la conscience l'incite à se battre. Chacun doit dépasser sa peur et mettre sa vie en jeu.
Comme l'a dit une jeune femme : "Je ne suis pas un soldat. Ils sont plus grands que nous. Mais je dois rester". Ce n'est peut-être pas rationnel, mais il y a là une noblesse qui, un jour, fera disparaître le mal de la violence dans les poubelles de l'histoire et fera grandir la mémoire de son peuple et de sa culture. La culture est ce dont nous nous souvenons collectivement de nous-mêmes.
Laurence Freeman OSB