Carême 2022 – Dimanche de la 2e semaine de Carême – 13 mars 2022
Réflexions quotidiennes du Carême 2022:
Deuxième dimanche de Carême (2022-03-13)
Pendant qu’il priait, l'aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. (Lc 9,28)
La fête de la transfiguration est le 6 août, date à laquelle, en 1945, la première bombe atomique larguée sur Hiroshima produisit une lumière aveuglante : ce sont là les pôles extrêmes du potentiel humain.
J'ai écrit hier sur le processus puissant du pardon et sur la façon dont nous devons être prêts à y entrer immédiatement lorsque nous sommes victimes d'une injustice. L'alternative est trop horrible : y être aspiré et devenir semblables à l'injustice que nous subissons. En résistant à l'injustice, comme nous le devons, nous pouvons parfois perdre notre innocence et commettre nous-mêmes des injustices. Pour prévenir ou réduire ces répercussions du mal – qui nous rendent semblables à ce que nous combattons - nous devons lutter, héroïquement envers et contre tout, pour aimer notre ennemi tout en le combattant. Etre du bon côté ne nous donne pas une carte blanche morale.
La diabolisation des "Boches" par les Alliés pendant la Première Guerre mondiale a alimenté l'horreur des tranchées et la mort de dix millions de soldats et d’autant de civils. La diabolisation du Dalaï Lama par la Chine, aussi absurde et mensongère que la justification de l'attaque de Poutine en Ukraine, justifie le viol et l’occupation du Tibet. Il y a quelques années, je suis allé voir au cinéma le film du Seigneur des Anneaux. Dans des scènes de combat numérisées, des hordes d'Orques hideux se déversaient sur les gentils et étaient fauchés en grand nombre, pour le plus grand plaisir des enfants qui m'entouraient. Ceci s'est répété dans plusieurs scènes jusqu'à ce que je doive finalement sortir pour respirer. Les séries Netflix utilisent des moyens encore plus détournés pour vous accrocher, avec une violence graphique et sadique qui choque le spectateur tout en le rendant dépendant.
Une Russe vivant en France et opposée à la guerre m'a raconté qu'elle avait été attaquée et rejetée par des compatriotes russes qui la traitaient d'antipatriotique, ainsi que par des non-Russes qui l'assimilaient à tous les Russes supposés être poutinistes. Certains orchestres symphoniques ont retiré Tchaïkovski de leur répertoire.
Dans les déclarations de la résistance ukrainienne, je n'entends pas une telle dénonciation générale et raciste de la Russie. Je sens que leur motivation n'est pas de la haine mais un amour courageux de leur patrie. Dans leur souffrance face à une brutalité écrasante et surréaliste, nous voyons comment peuvent se manifester l'amour de l'ennemi et le pardon. Il ne s'agit pas de céder à la Bête ou de l'imiter, mais d'exprimer de l'amour et de la fidélité : de garder son attention sur le Bien, même lorsqu’on est frappé par le Mal.
C'est ce qui change l'"aspect" du visage humain, en transfigurant la haine en lumière de Dieu, même dans la souffrance intense et impuissante. Nous pouvons alors voir où se trouve Dieu dans ces moments où l'humanité devient inhumaine. Dieu partage la souffrance et Dieu est incapable d'être autre chose que Dieu. Cela transfigure la souffrance elle-même. C'est ce que Blaise Pascale a compris lorsqu'il a dit que "Jésus sera à l'agonie jusqu'à la fin du monde".
Laurence Freeman OSB