Carême 2023 – Samedi de la 2e semaine de Carême – 11 mars 2023
Réflexions quotidiennes du Carême 2023 :
Samedi de la 2e semaine de Carême (11 mars 2023)
L'évangile d'aujourd'hui nous parle du fils prodigue, comme on a l’habitude de l’appeler. Mais il s'agit plus précisément de la parabole des deux frères. Ils sont comme deux pois dans une cosse, de nature opposée et pourtant très semblables. L'interprétation habituelle de l'histoire évoque le péché et le repentir de l'un et l'arrogance de l'autre. Le sens profond est de ne pas juger sur les apparences et même de ne pas juger du tout.
Jésus enseigne avec des histoires parce qu'elles sont un meilleur moyen de transmettre ce genre de signification. Les histoires s'adaptent à la capacité de compréhension limitée de chaque auditeur. C'est ainsi que chacun repart avec quelque chose, même si ce n'est qu'une petite partie. Le plus souvent, les paraboles de Jésus sont une décharge, avec une intention invisible. Les opposés sont réconciliés tout en étant transcendés. Pourtant, elles sont trop simples à comprendre au début et nous les embrouillons par une interprétation moralisatrice qui maintient les opposés à l’abri dans leurs rôles antagonistes. Ainsi, rien ne change vraiment. Jésus n’était pas un moralisateur mais un maître de sagesse qui utilise le paradoxe.
Le jeune frère prend sa part du gâteau et s'enfuit de la maison pour la gaspiller, avant de reprendre ses esprits et de rentrer à la maison avec son scénario appris sur le bout des doigts et la queue faussement coincée entre les jambes. Je n'ai jamais été convaincu de la sincérité de ses excuses (Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi...). C'est ce qu'il pense qui persuadera son père de ne pas trop le punir : "Restaure-moi dans ma position privilégiée et je serai un bon garçon à partir de maintenant". En revanche, le frère aîné, qui est resté à la maison, qui a travaillé dur et qui a une bonne réputation morale, devient amer, en colère et jaloux lorsqu'il voit qu'il n'y a pas de punition juste pour son frère qui a fait ce que lui aurait voulu faire, mais qu'il n'a pas fait (tu ne m'as jamais célébré, mais tu prodigues toutes tes faveurs et ton attention à mon frère irresponsable).
Le jeune frère n’est ni puni ni jugé. Le Père est simplement très heureux de le retrouver. Si telle est la nature de Dieu, nous ne sommes pas au bout de nos surprises lorsque tous nos jugements sur les autres et sur nous-mêmes s'effondreront devant un amour qui brûle le passé et illumine d'un éclair ce qui est resté si longtemps dans l'obscurité.
La réaction négative du frère aîné ne suscite pas la colère ou la menace de son père, mais l'étrange réalité du désir divin pour nous. Elle se révèle avec une transparence désarmante - une déclaration d'amour qui nous plonge dans les vérités profondes les plus intimes de la sagesse mystique et dans la révélation de l'amour divin : "tu es toujours avec moi et tout ce que j'ai est à toi". Cette déclaration ultime de la nature de Dieu transcende notre capacité de jugement moral. La révélation du but de l'existence fait du jugement une chose du passé. Nous entendons une déclaration d'amour pour les hommes de la part de la source de l'être et cela nous touche dans toute notre indignité et notre insuffisance.
Les deux garçons ne pourraient pas être plus différents. L'un montre un ego égoïste, à la recherche du plaisir et de l'épanouissement personnel. L'autre montre un ego satisfait de lui-même, qui a secrètement besoin d'être remarqué et approuvé. Pourtant, ils se ressemblent douloureusement dans leur incapacité totale à comprendre la nature de l'amour du père qui est d’égale mesure pour chacun d'eux, l'un qui était perdu et qui est retrouvé, et l'autre qui ne s'est jamais éloigné.
Un même soleil brille autant sur les bons que sur les méchants et les transfigure tous.
Laurence Freeman OSB