Carême 2024 – Jeudi de la troisième semaine de Carême – 7 mars 2024

Réflexions quotidiennes du Carême 2024 :
Jeudi de la troisième semaine de Carême (7 mars 2024)
Le monde apparaît aujourd’hui à beaucoup comme un désert de valeurs morales et spirituelles. Inspirons-nous de la grande métaphore du Carême, l’Exode de quarante ans à travers le « désert du péché ». À un moment célèbre où la soif se faisait désespérément sentir, Moïse frappa le rocher de l’Horeb et l’eau coula. Le reste du temps, le peuple fut abreuvé par un réseau de puits qui foraient les profondes et grandes nappes phréatiques souterraines.
Où sont les puits de sagesse qui nous permettront de continuer jusqu’à nos quarante années (temps biblique mythique symbolisant « le temps qu’il faut accomplir ») de transition vers une nouvelle vision de la réalité ? À cause des tempêtes de sable formées par notre distraction et notre violence, il peut sembler qu’ils soient perdus pour nous, mais en réalité, comme le Royaume, ils sont à portée de main.
Le corps est un puits de sagesse dont j’ai appris davantage au cours de ma récente maladie. Nous apprenons certes notre fragilité et notre mortalité, mais aussi comment vivre bien et heureux dans ce milieu magnifique et magique qui nous relie si directement au cosmos et à nos semblables. La maladie nous enseigne que nous sommes des « vases de terre », mais aussi que nous avons la capacité de la transcender en vivant simplement le moment présent. Que nous l’apprenions par le plaisir ou par la douleur est moins important que de boire à ce puits, ouvert à tous ceux qui veulent apprendre. De même, la maladie et la jouissance de la santé physique (dont nous ne jouissons généralement pas mais que tenons pour acquis) réorganisent les perspectives dans lesquelles nous comprenons le monde. Par le miracle d’accepter la réalité telle qu’elle est, en harmonie entre le corps et l’esprit, la conscience se développe, et pas seulement nos idées et nos hypothèses sur le monde.
D’autres puits sont des lieux physiques que les Irlandais qualifient de « lieux étroits » où le ciel et la terre se rencontrent. Un ancien dicton celtique dit que le ciel et la terre ne sont distants que de trois pieds, mais que dans un lieu étroit, c'est beaucoup moins. Le voile entre les mondes y est particulièrement perméable ou transparent et le nouveau et le pas encore commencent à s'unir. Il peut s’agir de lieux comme, pour moi, Bonnevaux, Varanasi ou le jardin de Gethsémani, ou encore d’innombrables lieux sacrés dans le monde, qui sont des « lieux de prière » :
Vous êtes ici pour vous agenouiller / C’est un lieu de prière. La prière est plus / Qu'un ordre de mots, une occupation consciente / De l'esprit en prière. C’est l'intersection de l'instant intemporel. Jamais et toujours. (TS Eliot, Little Gidding)
Ce sont des lieux où nous allons en pèlerinage et non en touriste, pour être plutôt que pour choisir de passer notre temps libre. Ce sont des jours saints, pas seulement des vacances.
Ensuite, il y a les puits de sagesse que sont les écritures sacrées. Nous avons perdu l'art de les lire, de comprendre l'espace entre les mots, mais elles nous attendent. Faire des arrêts courts mais fréquents pour y boire nous en suscite le goût et une compréhension qui se répercutent sur notre méditation car elles décrivent le voyage intérieur que nous faisons au-delà des mots.
Certaines personnes gracieusement présentes dans nos vies peuvent aussi avoir atteint un degré de pureté et de transparence de vérité qui en font des puits de sagesse pour quiconque les reconnaît.
Et puis, de manière plus universelle et plus simple, il y a le puits du cœur humain, la chambre intérieure. Nous pouvons y entrer par simple besoin de vérité et d’humilité, où que nous soyons et à tout moment.
Laurence Freeman, o.s.b.