Carême 2023 – Vendredi de la 3e semaine de Carême – 17 mars 2023
Réflexions quotidiennes du Carême 2023 :
Vendredi de la 3e semaine de Carême (17 mars 2023)
Je me souviens vaguement de l'époque où le Carême était le Carême. Comme dans un spectacle pour enfants, beaucoup de choses théâtrales étaient faites sérieusement et sans poser de questions. Le chemin de croix, toutes les statues et les crucifix dans les églises étaient recouverts d'un tissu violet. Il n'y avait ni Gloria ni Alléluia. L'eau bénite était retirée des bénitiers à l'entrée. Tout devait être fait dans l’ordre et l’on faisait confiance aux personnes qui étaient au courant pour le faire en temps voulu. Pour un jeune enfant, c'était incompréhensible et magique parce que c'était fait avec précision. Cela préservait une enclave d'enchantement dans un monde prosterné devant les autels de Mammon qui se trouvaient partout.
Les fidèles ressentaient un effet curieux pendant ce désert religieux du Carême. Ils refusaient ces symboles et ces images réconfortantes. Mais en les rejetant, leur mystique grandissait. Lorsque le Triduum (vendredi, samedi et dimanche de la Semaine Sainte) libérait son flot de couleurs, d'alléluias, d'exubérance visuelle et musicale, on savait par tous les sens qu'il s'est passé quelque chose et que le temps a changé. La liturgie est une sorte de théâtre sacré que nous ne pouvons prendre au sérieux que si nous ne le prenons pas trop au sérieux et gardons le sens de son caractère ludique. Il fallait participer au jeu, ne serait-ce qu'intérieurement, pour être un vrai joueur.
Le moment de transition, le passage du carême sablonneux et non sucré à la musique fleurie et douce de Pâques, s'est déroulé dans l'obscurité, au cours de la veillée pascale. L'acclamation de la Résurrection était une acclamation de foi tellement immense et irrationnelle que l'on sentait qu'elle devait être vraie, même si l'on ne comprenait pas comment on pouvait y donner du sens.
Dans les moments de transition, le temps ralentit. D'une certaine manière, en refusant d'abord à l'esprit religieux son régime habituel d'images et de sentiments, nous pouvons être mieux préparés par le riche symbolisme des mystères de Pâques à entrer dans leur profonde immobilité. Si le temps s’arrête, le Christ ressuscité semble plus pleinement présent.
Pour certains, le mouvement lent du Concerto pour violon de Beethoven amène l'auditeur absorbé presque jusqu'à la fin du temps. Il y a aussi des moments dans la prière qui sont libérés du temps, ou presque. Tant qu'ils peuvent être observés, même avec une trace de pensée objective, ils cesseront d'être présents. Ils prendront la nature d’une expérience, un souvenir déjà, quelque chose qui appartient au passé. La pensée, telle que nous la concevons, s'arrête aussi quand le temps s'arrête.
Les rituels du Carême sont une façon de perturber le temps pour le ralentir. Couvrir les statues de violet, c’est mieux que les briser, mais l'intention est identique. Même pour un esprit fondamentaliste confus et confiné, il reste le sentiment que l'essence de Dieu n'est rien, aucune chose, rien qui puisse être pensé. Nous ne pouvons rien dire à propos de Dieu qui nous empêche de dire que le contraire est tout aussi vrai : Dieu peut également être connu dans chaque chose et à travers chaque sens humain.
L’immobilité n’est pas une fixation. La vérité réside dans l'ondulation, un mouvement ondulatoire doux, haut et bas, intérieur et extérieur. Lorsque nous sommes naturels, en harmonie et que nos démons dorment, les contraires de la vie qui nous causent une si violente détresse sont résolus pacifiquement. Alors, lorsque nous sommes en paix, nous nous savons pleins d'énergie et débordants de potentiel. Nous pouvons alors reconstruire les pays déchirés par la guerre et guérir les cœurs brisés.
Laurence Freeman, o.s.b.