Carême 2023 – Mercredi de la 1re semaine de Carême – 1er mars 2023
Réflexions quotidiennes du Carême 2023 :
Mercredi de la 1re semaine de Carême (1er mars 2023)
Parlons un peu plus du détachement, en nous rappelant toujours l'importance de ne pas nous attacher à nos idées sur les choses. Difficile à faire car une fois que nous avons exprimé une idée, elle devient une opinion ; les opinions nous représentent et nous finissons par les défendre comme si elles étaient nous-même. Le détachement ne signifie pas le rejet ou l'annulation, comme c’est le cas de nos jours dans la plupart de nos conversations. Faites une erreur et vous êtes "annulé". Le détachement permet le retour du pardon et d’une seconde chance.
Les mystiques parlent de la nécessité de se détacher de l'image que nous avons de nous-même, généralement constituée de nos jugements sur le passé et de nos fantasmes sur l'avenir (appelés "prédictions" si vous êtes payé pour cela). Ils disent qu'il est utile de remplacer ces images motivées par l'ego par l'imagination tirée des écritures sacrées. C'est un problème pour ceux qui n'ont aucun lien direct avec les écrits originaux, ne connaissant au mieux que des commentaires de seconde main. Les textes sacrés sont des sources, des sources de sagesse toujours fraîches. Nous devons avant tout nous en abreuver : les lire d'abord puis, en absorbant leur pureté, sentir comment ils nous lisent (si vous ne savez pas lire, trouvez quelqu'un qui sait le faire). Notre propre interprétation de leur sens vient de la lecture (ou de l'écoute) personnelle et du sentiment d'être touché par la lumière.
Mais les mystiques suivants, comme le grand Flamand Jan van Ruusbroec, nous incitent à nous détacher même de ces mots et images sacrés. L'étape suivante de la prière est la méditation où l'on "laisse de côté" les images, les mots et les pensées de toutes sortes. Les pensées deviennent des images qui deviennent des mots. Le mantra les met toutes de côté dans le travail du silence.
Ce détachement plus profond et plus libérateur est difficile au début, puis merveilleux et difficile. La peur de ne devenir plus rien devient la joie d'être. Nous n'y parvenons pas seuls mais avec l'aide de la grâce, qui est comme une main invisible qui nous aide toujours mais ne nous contrôle jamais. Nous ne nous détachons pas par des programmes d'austérité. Les tentatives d'anéantissement de soi, les spiritualités orientées négativement ne font que renforcer l'ego. Nous ne nous détachons pas non plus en nous faisant plaisir et en appelant ce que nous voulons faire ‘une bonne chose’ ou, pire encore, la volonté de Dieu. Plus nous nous détachons, moins nous pensons que Dieu veut quelque chose. Ou alors, nous nous demandons si Dieu ne veut qu'une seule chose : être Dieu et faire en sorte que tout ce qu'il a créé devienne Dieu aussi.
C'est une route sinueuse et droite. Dans la chambre intérieure, nous faisons la navette entre les images et les moments de rupture de l'imaginaire. Parfois, les trains sont en grève ou les routes en construction. Ainsi, chaque jour, le trajet est imprévisible, mais nous choisissons de ne pas en faire un choix et de le faire. Nous ne savons jamais ce qui nous attend au coin de la rue, mais nous perdons moins de temps à nous en inquiéter et à essayer de contrôler l'avenir. Le détachement devient un plaisir mais jamais un attachement ou une possession. On ne l'atteint pas car c'est un développement naturel dans le processus humain lorsque nous comprenons et acceptons que nous sommes touchés par la grâce. Nous ne savons pas ce qu’est la grâce ni qui nous touche. Cependant, nous devenons cela. Du moins savons-nous que nous sommes sur la voie.
Laurence Freeman, OSB