Carême 2023 – Mardi de la 4e semaine de Carême – 21 mars 2023
Réflexions quotidiennes du Carême 2023 :
Mardi de la 4e semaine de Carême (21 mars 2023)
Hier, nous avons commencé par la guérison de l’aveuglement, nous sommes passés à une brouette de fruits colorés et nous avons terminé par la religion qui, telle un éléphant sauvage, piétine l'humanité en oubliant ce que signifie la contemplation - et qu'elle est destinée à tout le monde.
Je ne pense pas que nous aurons un jour une religion parfaite qui maintienne toujours l'équilibre entre la contemplation, la théologie et l’expression, pas plus que nous n'aurons jamais une démocratie parfaite. Par nature, la religion et la démocratie sont imparfaites. Dans la Jérusalem céleste (Ap 22), il n'y a pas de temple et Dieu est un chef absolu non élu. Mais, comme le dit un de mes amis politiques, "éviter le pire est aussi une bonne chose". Nous devons donc faire de notre mieux en religion comme en politique, même si cela nous entraîne en prison ou au bûcher.
La perte de cette vérité essentielle de la religion qu’est la contemplation est grave, parce qu'elle est la vérité centrale et le sens du parcours humain. Aristote disait qu'une "vie de contemplation est la meilleure et la plus heureuse des vies pour les dieux et les humains". Si vous ne vous fiez pas à la sagesse païenne, Saint Thomas d'Aquin a dit que "toutes les autres activités humaines semblent être ordonnées à l'objectif de nous libérer pour l'activité de contemplation". Si vous pensez que cela signifie simplement penser aux choses célestes, saint Bonaventure explique : "Pour que cette Pâque soit parfaite, nous devons suspendre toutes les opérations de l'esprit et transformer le sommet de nos affections, en les dirigeant vers Dieu seul. Il s'agit d'une expérience mystique sacrée".
Si l'on ne goûte pas aux fruits sucrés et si l'on ne voit pas la belle couleur de la contemplation, cela pourrait ressembler à un dangereux anti-intellectualisme. Ou bien, comme le pensent certains critiques, la méditation est un vide mental qui laisse entrer les démons, alors qu'en réalité, elle renforce l'esprit et chasse les démons.
L'absolutisation de la pensée est une erreur humaine courante. Elle est répandue dans notre culture technoscientifique et conduit à préférer la réalité virtuelle à la véritable réalité. Par exemple, Zoom n'est pas une mauvaise chose car cela a ouvert de nouvelles et merveilleuses possibilités de rencontres et d'échanges. Mais la plupart des gens s'accordent à préférer les vraies rencontres. Sans elles, Zoom fait de nous des zombies. L'absolutisation d'une chose est dangereuse car elle réduit les dimensions de la réalité qui nous rend conscients et qu’exige la vérité. À terme, cela conduirait à remplacer la réalité par l'illusion. "Les démocrates sont absolument mauvais, donc ce sont des pédophiles cannibales." Ridicule certes, mais ceux qui le croient ont atteint l’an dernier 22% aux Etats-Unis.
L'absolutisation de la pensée, dans le contexte de l'expérience religieuse, est tout aussi absurde et dangereuse. Le mot "absolu" signifie pourtant quelque chose de précieux - parfait, complet. Il est même apparenté à "absoudre", libérer et déclarer innocent. Mais nous ne devrions pas absolutiser quelque chose sans le concrétiser. "Concret" est un mot dont l’étymologie signifie grandir avec (con-crescere), réunir en un corps.
La contemplation - et la méditation dans son sens originel de préparation à la grâce de la contemplation - est le mariage de l'absolu et du concret. Elle a beaucoup d’enfants.
Laurence Freeman, o.s.b.