Réflexions quotidiennes du Carême 2023 :

Dimanche de la 2^e semaine de Carême (5 mars 2023)

Soudain, une nuée lumineuse les couvrit de son ombre,

et voici que, de la nuée, une voix se fit entendre... (Mt 17, 1-9)

Tout d'abord, je dois vous dire l’évolution mon apprentissage concernant les moutons et les chèvres. Mon maître en la matière qui, vous vous en souvenez peut-être, m'a corrigé la semaine dernière, m'a informé d'un autre point important : chacun de ces animaux appartient à un genre différent, mais à la même sous-famille, à la même famille, au même ordre et à la même classe. Les racines du bien et du mal sont entremêlées.

Dans la première lecture de la liturgie d'aujourd'hui, nous voyons Abraham recevoir de Dieu l'ordre de quitter son pays, sa famille et la maison de son père pour un pays que Dieu lui montrera. Des générations de moines celtes ont fait de même. Abraham, qui a suivi ce commandement, est le "père dans la foi" des juifs, des chrétiens et des musulmans, mais il n'est pas moins un modèle pour toutes les religions de la réponse humaine au mystère ultime de l'existence. Abraham est l'exemple d'un détachement total et simple dans l'obéissance à une intuition qui nous transforme, même si elle ne peut être pleinement comprise. Il est l'exemple d'une métanoïa vers une étape, qui demande aussi toute une vie de méditation et d'efforts pour parvenir à traiter les autres comme nous aimerions qu'ils nous traitent (même et surtout quand ils ne nous traitent pas ainsi). Contemplation et action, méditation et service. Sur notre chemin lent et trébuchant, nous apprenons de ceux qui, d'un seul bond, ont plongé dans la lumière.

La photo de cette semaine provient des longs et larges couloirs monastiques de Monte Oliveto. Je sortais un jour de ma chambre pour la conférence matinale de la retraite de la WCCM que nous y organisons chaque année, lorsque je rencontrai un vieux moine qui faisait sa promenade matinale lente et solitaire sur les sols polis du couloir. Il me salua d'un doux sourire de reconnaissance. Il ne voulut pas parler de sa santé, comme le font beaucoup de personnes âgées, mais me posa des questions sur les personnalités du monde entier qu'il avait vues dans l'église. Lorsque nous nous séparâmes, je me suis retourné et l'ai vu marcher droit vers la lumière. Il mourut peu après, transfiguré dans la luminosité qui brillait déjà en lui, comme j'avais eu le don de le voir pendant les derniers jours de sa vie.

Dans le récit de la Transfiguration de Matthieu, Jésus emmène ses plus proches disciples au sommet d'une montagne, peu après leur avoir annoncé le sombre destin qui l'attendait. Sur la montagne, il se révèle être le nouveau Moïse et l'accomplissement de la tradition prophétique. Tout est lumière. "Son visage brillait comme le soleil". Pierre sent qu'il doit dire quelque chose en cet instant ineffable et propose de construire trois tentes. Aujourd'hui, il aurait dit à Jésus : "Reste là un instant, je vais prendre une photo". Les gens ne croient pas qu'un événement s'est produit ou qu'ils sont allés quelque part s'ils ne prennent pas un selfie de cet événement. Mais il y a aussi des ténèbres sur la montagne de la Transfiguration. Une nuée lumineuse les enveloppe tous, les couvrant de son ombre. La lumière la plus brillante, les meilleures choses de notre vie, peuvent projeter l'ombre la plus sombre quand quelque chose, comme un appareil photo ou une pensée consciente, vient s'interposer.

Tout ce que nous appelons ou décrivons comme une "expérience" est en fait déjà devenu un souvenir soumis aux faiblesses et aux tromperies de notre esprit. Alors qu'ils descendent de la montagne, Jésus leur dit de ne parler à personne de cette expérience d'illumination jusqu'au moment où, après la Résurrection, l'Esprit transparent du Christ jette sur toutes choses une lumière omniprésente.

Laurence Freeman OSB