Carême 2022 – Lundi de la 4e semaine de Carême – 28 mars 2022
Réflexions quotidiennes du Carême 2022:
Lundi de la 4e semaine de Carême (2022-03-28)
Il y avait un homme qui se sentait constamment submergé par ces "dix mille choses" dont parlait Lao Tseu qui lui venaient à l'esprit – ce que tous les méditants connaissent bien. Certaines de ces choses étaient insignifiantes mais pouvaient néanmoins être très agaçantes. Il ressentait un sentiment de colère disproportionné lorsque, par exemple, son téléphone portable se déchargeait au milieu d'une conversation ou même lorsqu'il faisait tomber son savon parterre pendant la douche du matin, ce qui lui mouillait la tête avant le moment prévu dans sa toilette habituelle. Lorsqu'un serveur avait oublié sa commande et revenait un moment plus tard lui demander de la répéter, il ressentait une grande colère et de la tristesse. Il ne savait pas bien d'où venait cette tristesse, mais il n’aimait pas voir combien il était en colère.
Il avait assez de distance pour diagnostiquer son état actuel de stress. Il savait qu'il était pourtant plutôt gentil. Il aidait volontiers les gens perdus dans une gare, mais quelques minutes plus tard, il pouvait avoir envie de pousser quelqu’un devant lui qui l’avait bousculé brutalement. Il ne savait pas quoi faire.
Il décida de faire attention aux petits détails de la vie pour s’assurer qu’ils étaient parfaits. Ainsi il réduirait les occasions de stress. Il avait calculé le temps qu'il passait par semaine à corriger l'orthographe des e-mails ou des textos qu'il écrivait. Ça lui donna l’impression qu’il perdait son temps à ces futilités sans importance et sans fin et lui rappela qu'il y avait un tuyau qui fuyait dans la salle de bains et qu'il oubliait toujours de le réparer. Il appela un plombier qui lui dit qu'il était trop occupé, mais qu'il le rappellerait. Et cela renforça son sentiment que tout allait de travers.
Il regardait les images des villes et des maisons détruites en Ukraine et sentait que quelque chose du même genre se produisait dans son esprit. Alors il se reprochait de comparer des choses immensément tragiques avec ses petites préoccupations personnelles. Il se sentait coupable et stupide, ce qui ne faisait qu'ajouter au sentiment que sa vie était un boulet de stress qui ne cessait de grossir.
Il décida de porter une attention extrême à toutes les occasions où il se sentait stressé et cela augmenta paradoxalement sa tristesse. Il ajouta beaucoup d’autres petites choses à ses tentatives d’attention croissante. Son répertoire de perfection de développait chaque jour. « Si je parviens à contrôler ces détails, pensait-il, je me sentirai mieux dans les sujets plus importants. »
Pendant un certain temps, cela semblait fonctionner et il se sentait plus calme et maître de lui. Puis un matin, alors qu'il devait partir tôt pour une réunion très importante, il ne se réveilla pas et rata le rendez-vous parce qu'il avait oublié de mettre son réveil. Il sentit que les forces du chaos qu'il avait tenté de juguler l’envahissaient malgré lui et qu'il n'était plus maître de lui. Il savait que c'était disproportionné, mais c’était bien ce qu'il ressentait.
Puis, au pire moment de son sentiment d'impuissance et d'échec, une idée lui vint. Dans un moment de clarté, comme on aperçoit un coin de ciel bleu à travers des nuages d'orage, il vit ce qu'il devait faire. Et, je suis heureux de vous dire qu’il le fit.
Laurence Freeman OSB